Electrothérapie du muscle dénervé

L’application d’un courant électrique dans l’environnement d’un muscle privé de sa commande nerveuse périphérique reste probablement le domaine le plus délicat de l’électrothérapie.
La raison est d’abord historique car pendant de nombreuses années, les partisans du « pour », aussi nombreux que les adeptes du « contre », se sont affrontés parfois vigoureusement dans
des débats assez stériles, car dépourvus de réelles évidences scientifiques. Elle est aussi due à un manque de compréhension à la fois de la physiopathologie des atteintes nerveuses périphériques mais aussi souvent des bases même de l’électrothérapie. Avant de présenter les différentes modalités de prise en charge du muscle dénervé par électrothérapie, il est tout à fait essentiel d’examiner en quoi la stimulation d’un muscle dénervé peut-elle être bénéfique ?

A propos de l’auteur : PASCAL ADAM, Masseur Kinésithérapeute D.E. Enseignant en électrothérapie IFMK Paris

1. Rappels des processus physiologiques d’une dénervation traumatique et de la régénération nerveuse
Seddon propose la classification la plus simple des atteintes nerveuses traumatiques et distingue :

• La neurapraxie :
Correspond le plus souvent à une simple compression nerveuse n’entraînant pas de solution de continuité de l’axone ou de ses gaines. Il s’agit d’une démyélinisation très localisée entre 2 ou quelques nœuds de Ranvier, qui se traduit par un bloc de conduction dont le pronostic est bon à condition toutefois que la compression soit levée dans un délai raisonnable. Le délai habituel de récupération est de 6 à 8 semaines et correspond aux délais de réparation de la gaine de myéline.
La « Saturday-night palsy » des anglosaxons ou la paralysie des amoureux, illustre très bien ce qu’est la neurapraxie du nerf radial, en l’occurrence celle provoquée par un appui prolongé de la tête du partenaire sur un bras.

• L’axonotmésis :
Il y a rupture ou section de l’axone, mais la gaine axonale et les tubes endoneuraux sont intacts. C’est aussi parfois la conséquence d’une compression prolongée.
La partie distale de l’axone dégénère rapidement en quelques jours, c’est la dégénérescence wallérienne. Presqu’aussitôt la régé- nération axonale débute à partir du bourgeon proximal, à la vitesse moyenne d’1 mm par jour. Le pronostic est en général bon, puisque les risques de fausse route sont en principe écartés par la persistance de tubes endoneuraux fonctionnels. Les délais de récupérations dépendent principalement du niveau de la lésion initiale et de la distance de repousse.

• Le neurotmésis :
Pour Seddon, il y a rupture ou section de tous les éléments constitutifs du nerf avec parfois des pertes de substance associée. L’extrémité distale du nerf se dégrade (dégénérescence wallérienne) et la régénération axonale va se produire, mais le plus sou- vent sans bon résultat fonctionnel puisqu’en l’absence de sa gaine, l’axone fait des fausses routes en empruntant des gaines de voisinage ou s’emmêle comme une pelote de laine pour former un névrome.
La réparation chirurgicale a pour but de transformer un neurotmésis en axonotmésis dont le pronostic fonctionnel est bien meilleur. Il existe d’autres classifications comme celle de Sunderland qui propose des stades intermédiaires selon l’étendue des lésions des différentes gaines (endonèvre, périnèvre, épinèvre), mais surtout tous les auteurs reconnaissent la quasi constance des atteintes en mosaïque d’un même nerf, c’est-à-dire des atteintes où cohabitent à des degrés divers des lésions anatomiques variées.

2 Influence de l’électricité sur la régénération nerveuse
2-1 Que disent les études ?
De nombreuses études ont cherché à déterminer si l’application d’un courant de stimulation était bénéfique en favorisant la repousse nerveuse ou bien au contraire néfaste en inhibant ou en ralentissant le processus de la régénération.
Les paramètres de stimulations utilisés dans ces études, sont toutefois très hétérogènes. En effet, certaines études ont consisté à stimuler les fibres musculaires au moyen d’impulsions de longue durée et de très basses fréquences, alors que d’autres au contraire utilisaient la stimulation nerveuse avec des impulsions très brèves et des fréquences tétanisantes.
De plus, les populations humaines étudiées ne présentent rarement, voir jamais, des lésions nerveuses homogènes (axonotmésis, neurapraxie…). Les résultats sont donc forcément hétérogènes avec parfois une tendance à l’amélioration de la repousse, alors qu’au contraire d’autres études concluent à une inefficacité voir à un effet néfaste de la stimulation sur les mécanismes de la repousse.
Une revue récente de la littérature réalisée en 2009 par T. Gordon, va plutôt cependant dans le sens d’un effet positif de l’électro- thérapie… Mais de quoi parle-t-on vraiment ?

2-2 De bonnes questions à se poser !
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– Stimulation des fibres musculaires :
Lorsque l’on stimule directement les fibres musculaires, l’impulsion électrique déclenche un potentiel d’action qui parcourt les fibres musculaires jusqu’aux tubules T, et sans jamais atteindre les motoneurones, qui de toute façon n’atteignent pas la plaque motrice en cas d’unités motrices dénervées. On voit mal dans ces conditions, comment une stimulation de ce type pourrait influencer d’une manière ou d’une autre la régénération nerveuse (figure 1a).

– Stimulation nerveuse en aval de la lésion :
Si maintenant, c’est le nerf moteur qui est stimulé, rappelons d’abord que le nerf ne transmet pas l’impulsion électrique jusqu’au muscle, mais que l’impulsion électrique ne fait que déclencher un potentiel d’action en tout point identique à ceux initiés par une commande volontaire (+30mV). Par conséquent, l’impulsion électrique ne se propage pas au-delà de son point d’application.
Si la stimulation a lieu à proximité du point moteur, (comme ceci doit être la règle pour la neurostimulation), l’impulsion électrique agit en aval du moignon nerveux, et là aussi un quelconque effet sur la repousse est difficilement concevable (figure 1b).

– Stimulation nerveuse en amont de la lésion :
Si les motoneurones sont stimulés au niveau du tronc nerveux en amont de la lésion, les motoneurones sains peuvent transmettre les potentiels d’action électro-induits jusqu’aux fibres musculaires qu’ils commandent. La réponse motrice obtenue ne peut provenir que de la partie innervée du muscle.

Quant aux motoneurones « amputés », l’impulsion électrique déclenche le potentiel d’action qui se propage jusqu’au moignon nerveux où il aboutit donc dans une impasse. Ici, il serait légitime de s’interroger sur un effet éventuel de ces influx nerveux sur le processus de la repousse nerveuse : la favorise t-elle ? L’empêche t-elle ou la ralentit-elle ? On n’en sait rien ! Mais il faut toutefois noter que la même question peut se poser pour des contractions volontaires, puisque dans ce cas le patient qui cherche à contracter son muscle dénervé active sa commande nerveuse, dont les potentiels d’action arrivent de la même façon au niveau de l’extrémité de l’axone amputé. Hors, il ne semble pas établi que les exercices de rééducation à type de sollicitations volontaires d’un muscle dénervé doivent être proscrits parce qu’ils inhiberaient la régénération nerveuse (figure 1c) !

2-3 Alors à quoi ça sert ?
Devant l’absence actuelle d’évidences scientifiques qui démontreraient un effet favorable ou au contraire défavorable de la stimulation musculaire, sur la qualité et la vitesse de la récupération motrice suite à une lésion nerveuse périphérique, il semble sage de conclure que cette technique ne soit pas capable d’influencer la repousse nerveuse.
En revanche, la stimulation des fibres musculaires dénervées est l’unique moyen d’im- poser une activité mécanique aux muscles privés de leur commande périphérique.
Cette activité musculaire électro-induite va donc d’une part, contribuer à maintenir un état trophique acceptable en combinaison avec d’autres techniques de rééducation (mobilisations passives, massage, chaleur…), mais va surtout permettre de limiter l’amyotrophie et d’entretenir la contractilité des fibres musculaires.
Rappelons que la sclérose musculaire qui correspond à la disparition irréversible des unités contractiles (sarcomères) apparaît en moyenne entre 12 et 18 mois lorsqu’un muscle n’est plus utilisé. Il s’agit donc toujours d’une situation catastrophique qui compromet le devenir fonctionnel d’un muscle même en cas d’une régénération nerveuse favorable mais tardive.
L’électrothérapie du muscle dénervé a donc pour but de réduire l’amyotrophie et d’entretenir la contractilité pour favoriser une bonne restauration fonctionnelle en cas de régénération nerveuse favorable.

3 Rappels de l’électrophysiologie du nerf et du muscle
Seules structures excitables, c’est-à-dire, dotées de la capacité d’inverser le potentiel électrique de leur membrane puis de propager ce signal, ou potentiel d’action, le long de leur structure, le nerf et le muscle présentent une grande différence d’excitabilité (figure 2).

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Ainsi, le stimulus requit pour déclencher un potentiel d’action sur une fibre musculaire est considérablement supérieur à celui qui est nécessaire pour déclencher le même phénomène sur une fibre nerveuse.
Pour une impulsion électrique, cela signifie que la quantité de charges électriques qui doit être appliquée pour exciter une fibre musculaire est plusieurs centaines de fois supérieure à celle qui est suffisante pour exciter une fibre nerveuse. Cette exigence se traduit par la nécessité d’utiliser des durées d’impulsions beaucoup plus longues pour la stimulation musculaire que pour la stimulation nerveuse.

3-1 L’impulsion de neurostimulation n’est pas capable d’exciter les fibres musculaires
Pour la stimulation nerveuse, des durées moyennes d’impulsions d’environ 200 μs (0,2 ms) sont couramment utilisées pour l’électrothérapie antalgique et pour la stimulation neuromusculaire (entre 30 et 400 μs).
Des durées aussi courtes sont parfaites pour stimuler les différentes fibres nerveuses en garantissant le meilleur confort d’utilisation et une efficacité optimale, mais ne permet- tent en aucun cas de stimuler directement des fibres musculaires (figure 3).



Ceci est d’ailleurs connu des médecins anesthésistes qui utilisent la stimulation nerveuse pour évaluer l’efficacité de la curarisation ou de la décurarisation. En effet, le curare qui est couramment utilisé en anesthésie provoque une « paralysie thérapeutique réversible » par blocage transitoire de la synapse. Une absence de réponse musculaire au test de stimulation nerveuse met en évidence une curarisation efficace, alors qu’une réponse musculaire indique que la curarisation n’est pas ou plus efficace.
Les courbes I/t du nerf et du muscle mon- trent aussi clairement que l’utilisation d’une impulsion rectangulaire de longue durée (plusieurs dizaines de ms) peut per- mettre de stimuler la fibre musculaire, mais que ceci s’accompagne inévitablement de la stimulation des motoneurones.
Dans un tel cas de figure, il n’est jamais possible de déterminer la contribution respective de la stimulation nerveuse et de la stimulation musculaire à la réponse mécanique obtenue (figure 4).

 

3-2 Quelles impulsions pour stimuler directement les fibres musculaires ?
3.2.1 – Dénervé total
Lorsque la dénervation est complète, les fibres musculaires dénervées seront stimulées au moyen d’une impulsion rectangulaire de longue durée.
La durée de l’impulsion sera de préférence égale ou voisine de la chronaxie qu’il est possible d’évaluer au moyen d’un appareil d’électrothérapie proposant un mode « manuel » qui permet de choisir des durées d’impulsion comprises entre 5 ms et 1 seconde. Cette durée d’impulsion maximale sera alors choisie et appliquée sur la partie charnue du muscle avec une incrémentation progressive de l’intensité. La première réponse musculaire sera obtenue lorsque la rhéobase est atteinte. Il suffit alors de choisir une durée d’impulsion de quelques dizaines de ms et de monter l’intensité jusqu’au double de la rhéobase.
Si une réponse est obtenue, on répète la manœuvre en réduisant la durée de l’impulsion de 5 ou de 10ms. S’il n’y a pas de réponse, on procède à un nouvel essai avec une impulsion d’une durée supérieure. Une autre façon de procéder est d’utiliser une durée d’impulsion de 100 ms qui est réputée être la durée « moyenne » de la chronaxie des fibres musculaires dénervées.

3.2.2 – Dénervé partiel
Si une impulsion rectangulaire de longue durée est tout à fait satisfaisante pour stimuler les fibres musculaires d’un muscle complètement dénervé, il n’en est pas de même lorsque la dénervation n’est que partielle. En effet, nous avons vu au chapitre 3.1, qu’une impulsion rectangulaire stimulait aussi, et même en premier lieu les unités motrices saines.

Il est donc intéressant d’exploiter un phénomène physiologique, celui de l’accommodation (le terme de climalyse n’est plus utilisé aujourd’hui), qui se produit lorsqu’un courant électrique est installé de façon progressive et non plus instantanément, comme avec une impulsion rectangulaire. Cet évènement consiste en une fuite ou une élévation du seuil d’excitation, donc de la rhéobase. Ce phénomène apparaît rapide- ment pour une fibre nerveuse (20 à 30 ms) et plus tardivement pour les fibres musculaires (entre 100 et 300 ms).

electrotherapie_4La figure 5 montre ainsi qu’une impulsion de forme triangulaire dotée d’une pente appropriée, permet de stimuler les fibres musculaires dénervées sans exciter au préalable les motoneurones intacts, ou les fibres musculaires toujours innervées. La détermination de la pente adaptée est un point essentiel, puisqu’une pente insuffisante ne permettra pas la moindre stimulation, alors qu’une pente trop raide atteindra d’abord les structures innervées.
Certains appareils proposent un mode de détection automatique de la pente qui est obtenue au moyen d’une incrémentation automatique de l’intensité (+ 0,5mA à chaque impulsion), alors que la durée de l’impulsion est fixe (100 ms). Le kinésithérapeute doit alors surveiller la survenue de la première réponse motrice qui se produit lorsque la partie dénervée du muscle est stimulée et enregistrer cette donnée en pressant une touche de l’appareil.

4 Caractéristiques des courants de stimulation pour muscles dénervés
• Impulsions balancées :
Afin d’éviter l’accumulation de particules d’électricité dans les tissus (phénomène de la polarisation), il est d’usage d’utiliser une inversion du sens du courant : après une première phase de polarité déterminée, succède immédiatement une seconde phase parfaitement symétrique mais de polarité opposée.
C’est ce qui est fait avec les courants modernes de neurostimulation (impulsion biphasique compensée symétrique).
En raison de la très longue durée (≈ 100ms) des impulsions rectangulaires ou triangulaires utilisées pour stimuler les fibres musculaires dénervées et afin de ne pas doubler cette durée et donc augmenter encore l’inconfort de ces traitements, on préfère utiliser des impulsions monophasiques mais alternées de façon à obtenir un courant à moyenne électrique nulle et donc pouvoir utiliser ces courants à proximité d’implants métalliques (figure 6).

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• Très basse fréquence :
Une caractéristique habituelle du muscle dénervé est sa grande fatigabilité qui se traduit par l’affaiblissement progressif de sa réponse mécanique à la stimulation électrique.
Une très basse fréquence comme 0,5 Hz, c’est-à-dire une impulsion toutes les 2 secondes permet de limiter cette fatigue. Si malgré cette très basse fréquence, un épuisement de la réponse motrice apparaît (comme c’est parfois le cas pour des dénervations très anciennes), il peut être judi- cieux d’espacer davantage les impulsions, par exemple de choisir un mode de stimulation avec 1 impulsion toutes les 4 ou 5 secondes, voire davantage comme cela est possible avec des appareils de qualité.

• Durée des séances :
Sans doute une conséquence de la grande fatigabilité du muscle dénervé, le non dépassement d’un certain nombre de réponses motrices qui ne devaient pas excéder 4, 6 ou 10 selon les avis, a longtemps constitué un dogme à une époque il est vrai, où le contraire de la fatigue, c’est-à-dire le repos était la pierre angulaire de nombreux moyens thérapeutiques ! Aujourd’hui, on préfère des traitements plus longs, de l’ordre de 8 minutes mais avec des fréquences très basses, pour imposer une quantité de travail très modeste, mais néanmoins suffisante pour atteindre les effets souhaités.

5 règles pratiques d’utilisation pour la stimulation du muscle dénervé
5-1 Choix et placement des électrodes
Une ancienne habitude, spécifique au traitement du muscle dénervé (encore parfois pratiquée aujourd’hui) consistait à utiliser un accessoire de type stylet pour effectuer une stimulation ponctiforme. Ceci est pour le moins étrange, car soit on recherche ainsi une zone localisée qui permet d’obtenir une réponse mécanique musculaire : c’est le point moteur qui correspond à la plaque motrice, soit on stimule les fibres musculaires individuellement, et bien entendu à la condition « sine qua non » que la durée de l’impulsion soit suffisamment longue. Or la plaque motrice (point moteur) n’existe plus pour les unités motrices dénervées ! S’il y a une réponse, cette dernière ne peut provenir que de la partie innervée du muscle, et cela traduit une atteinte partielle. La stimulation individuelle des fibres musculaires n’a pas beaucoup d’intérêt non plus, à moins de souhaiter prolonger un traitement peu agréable pendant un temps considérable !

Electrotherapie_6On préconise donc plutôt aujourd’hui de placer 2 électrodes en silicone souple et enduites de gel conducteur sur la partie charnue du muscle, et de façon à ce que les électrodes recouvrent la plus grande surface possible du muscle (figure 7).
L’intérêt des électrodes en silicone, est qu’elles sont le plus souvent vendues au mètre, ce qui permet de les couper à la taille convenable, mais aussi qu’elles conduisent mieux le courant si une épaisseur suffisante de gel les recouvre. Ceci est important, car les troubles trophiques de la peau qui accompagnent les dénervations anciennes modifient la résistance électrique cutanée qui peut atteindre des valeurs élevées et ainsi dépasser les seuils de tolérance des habituelles électrodes adhésives.
Les électrodes en silicone seront maintenues avec un adhésif médical ou au moyen d’une bande légère.

5-2 Réglage des intensités
Pour les mêmes raisons que pour la stimulation d’un muscle normalement innervé, l’intensité qui détermine directement le recrutement spatial sera progressivement augmentée tout au long de la séance tout en restant supportable pour le patient.
Ceci est essentiel pour essayer de recruter le plus grand nombre de fibres musculaires vers la profondeur du muscle.
Rappelons que la grande quantité de charges électriques administrée à chaque impulsion (et nécessaire pour atteindre le seuil d’excitation de la fibre musculaire) est responsable de l’inconfort du traitement qui est souvent perçu comme pénible… par les patients qui ne présentent pas d’hypoesthésie associée.
Pour les patients qui présentent des troubles sévères de la sensibilité, il est recommandé de stimuler d’abord le côté sain jusqu’à la limite du seuil supportable, et d’appliquer ensuite progressivement le même niveau d’intensité du côté pathologique.
Pour la stimulation des muscles partiellement dénervés, où ce sont des impulsions triangulaires qui sont utilisés, nous avons vu (chapitre 3.2.2) qu’il était indispensable de déterminer la pente appropriée pour éviter la stimulation des unités motrices saines.
Si maintenant, l’intensité est augmentée au-delà de celle qui permet d’obtenir la pente correcte, la pente se redresse et l’impulsion risque d’atteindre les structures innervées. Il est donc nécessaire, de disposer d’un appareil qui soit capable de mémoriser la pente appropriée, et de conserver celle-ci en allongeant la durée de l’impulsion à chaque fois que l’intensité est augmentée.

5-3 Fréquence des séances
Rappelons que le but des séances d’électrothérapie est de préserver la trophicité musculaire et la contractilité des unités motrices dénervées. Ceci ne peut être atteint qu’avec une utilisation très régulière, qui doit être quotidienne dans la mesure du possible.
Dans un pays voisin comme la Suisse, où le patient peut louer un appareil d’électrothérapie permettant de faire des traitements de muscles dénervés, après avoir été éduqué par son physiothérapeute, ce sont 2 séances par jour qui sont prescrites, avec la consigne de faire idéalement une séance le matin et une autre dans la soirée.

6 Attitude clinique en pratique courante
Avant de déterminer le type de stimulation dont pourrait bénéficier un patient victime d’une atteinte neurologique périphérique, il est indispensable de pouvoir « classer » sa lésion ou sa pathologie dans l’une des quatre situations suivantes :
• dénervation totale avec espoir de récupération,
• dénervation partielle avec espoir de récupération,
• dénervation totale hors délais de récupération,
• dénervation partielle hors délais de récupération.
Le délai pendant lequel la récupération est possible ne fait pas l’objet d’un véritable consensus, même si le délai théorique est assez facile à évaluer. Il suffit en effet, d’évaluer la distance de la repousse, c’est-à-dire la distance entre le niveau lésionnel et le point moteur du muscle et de diviser cette distance en centimètres par 3, qui correspond à la vitesse de repousse nerveuse moyenne mensuelle (1mm par jour ou 3 cm par mois).
A titre d’exemple, une lésion du nerf radial suite à une fracture du milieu de la diaphyse humérale atteint le nerf à une distance d’environ 20 centimètres des points moteurs des muscles épicondyliens.
Le délai théorique de réinnervation est donc dans cet exemple de 20 ÷ 3 = 6 à 7 mois.
Ceci bien sûr, pour une repousse en ligne droite, donc sans méandre et qui s’effectue à la vitesse reconnue comme moyenne ! Il est donc toujours prudent d’allonger cette période théorique, d’autant plus que chaque thérapeute se souvient de cas qui ont connu une récupération parfois très tardive et bien au-delà des délais théoriques !
La nature de la lésion initiale ou de la pathologie constitue aussi des éléments à ne pas négliger pour apprécier les délais pendant lesquels un espoir raisonnable de récupération existe.

6-1 Dénervation totale avec espoir de récupération
Dans ce cas, le ou les muscles dénervés devront être stimulés au moyen de longues impulsions rectangulaires. L’objectif est de maintenir la meilleure trophicité possible ainsi que les propriétés de contractilité des muscles dénervés en attendant une évolution favorable de la situation.
Il sera nécessaire de réévaluer régulièrement les possibilités motrices, puisqu’en cas d’évolution favorable, quelques unités motrices pourront avoir récupéré et le patient se trouvera alors dans la situation d’une dénervation qui ne sera plus que partielle.

6-2 Dénervation partielle avec espoir de récupération
La stimulation analytique des fibres dénervées nécessite ici l’utilisation d’impulsions triangulaires dont la pente devra être déterminée et maintenue fixe tout au long de chaque séance.
Les buts sont identiques à ceux d’une dénervation complète : entretien de la trophicité et de la contractilité jusqu’à récupération aussi complète que possible.
La partie innervée du muscle peut aussi bénéficier d’un travail par électrostimulation qui se fera au moyen d’un programme classique de neurostimulation comme le traitement de l’amyotrophie.

6-3 Dénervation totale hors délais de récupération
Cette situation qui n’est pas la meilleure pour le patient est la plus simple pour le thérapeute, puisqu’ici, on peut sagement recommander l’abstention de toute électro- thérapie à visée excitomotrice.
En effet, la course au maintien d’une trophicité acceptable et surtout durable est per- due d’avance pour un muscle qui ne retrouvera pas son innervation.
D’autres techniques peuvent parfois être mises en place, notamment pour essayer de développer des suppléances, mais nous sortons alors de notre sujet.

6-4 Dénervation partielle hors délais de récupération
Le muscle se compose ici d’unités motrices fonctionnelles : la partie innervée, mais aussi d’une autre partie irréversiblement non fonctionnelle : la partie dénervée.
Bien évidemment, plus la partie dénervée est importante, plus le préjudice fonctionnel est sérieux.
Face à cette situation, une stratégie intéressante peut être d’essayer de développer au maximum la partie saine du muscle de façon à créer, ce que certains appellent une hypertrophie compensatoire. Ceci se fera au moyen des programmes classiques de traitement de l’amyotrophie puis de renforcement.
Pour que cette stratégie s’accompagne de gains significatifs, il faut toutefois que la partie innervée, que l’on va chercher à développer, ne soit pas réduite à quelques rares unités motrices. On considère en général, qu’un testing à 2 représente le seuil minimum à partir duquel ce type de traitement peut raisonnablement être instauré.

Conclusion
L’électrothérapie du muscle dénervé n’a pas d’influence clairement démontrée sur l’amélioration des mécanismes de régénération nerveuse. Néanmoins, il s’agit de la seule technique capable d’entretenir la contractilité des fibres musculaires privées de leur commande et donc de préserver le capital fonctionnel du muscle pendant les délais souvent très longs nécessaires à la régénération axonale.

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